LOI PORTANT DIVERSES DISPOSITIONS
D'ORDRE ECONOMIQUE ET FINANCIER
Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 3 juin 1998.
Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider que les mots : « depuis moins de quinze ans à la date d'attribution des options » figurant à l'article 92 ainsi que les articles 61, 69, 72 et 114 de la loi précitée ne sont pas conformes à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous :
Article 61
L'article 34 de la Constitution place dans le domaine de la loi « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».
Il en résulte que le Parlement ne peut renoncer au plein exercice de sa compétence et ne saurait renvoyer au règlement des éléments substantiels de l'assiette, du taux ou des modalités de recouvrement d'une imposition nouvelle.
L'article 61 portant création d'une taxe communale facultative sur les activités saisonnières à caractère commercial méconnaît cette exigence. Il dispose en effet que la taxe peut être forfaitaire, mais sans définir ni le montant de ce forfait ni les cas où la taxe est forfaitaire. Cette dernière omission est issue directement de l'imprécision de la définition de l'assiette. Selon le texte adopté par l'Assemblée nationale : « La taxe est assise sur la surface du local ou de l'emplacement où est exercée l'activité commerciale. » Compte tenu des spécificités des activités saisonnières visées (nomadisme, fourniture de sièges, vendeurs itinérants,...), cette assiette apparaît imprécise et donc inopérante. Elle est en outre susceptible de contrarier le principe d'égalité devant l'impôt : il n'existe aucune corrélation a priori entre la surface d'un emplacement et soit le chiffre d'affaires, soit le résultat dégagé, soit un quelconque critère objectif lié à l'activité exercée.
Le défaut manifeste de définition complète de l'assiette et du taux ne s'oppose pas au respect nécessaire de l'article 72 de la Constitution, en vertu duquel les collectivités locales « s'administrent librement par des conseils élus ». En effet, comme l'a souligné le Conseil dans sa décision no 90-227 DC du 25 juillet 1990, il appartient au législateur, non pas de se substituer aux conseils élus, mais de « déterminer les limites à l'intérieur desquelles une collectivité territoriale peut être habilitée à fixer elle-même le taux d'une imposition établie en vue de pourvoir à ses dépenses ».
Article 69
La loi organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances fait partie du bloc de constitutionnalité. L'article 69 portant institution d'une contribution des entreprises exploitant des engins de remontée mécanique à un « fonds neige » méconnaît l'article 18 de ladite loi organique, qui formule deux grandes règles classiques du droit budgétaire : l'unité et l'universalité du budget.
D'une part, il procède à une affectation de recettes d'origine parlementaire. D'autre part, le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier n'est pas une loi de finances. Or la troisième phrase du troisième alinéa de l'article 18 dispose explicitement : « Dans tous les autres cas, l'affectation est exceptionnelle et ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances, d'initiative gouvernementale. »
Le fait que le prélèvement nouveau soit dénommé « contribution » ne l'exclut pas du champ d'application de l'article 18, qui vise les recettes de l'Etat. Le code général des impôts contient plusieurs « contributions » qui sont des impôts d'Etat. De surcroît, ni la personnalité morale ni le caractère privé de ce fonds non plus que sa qualité éventuelle d'établissement public ne peuvent être présumés en l'absence de disposition explicite de la loi. L'initiative parlementaire visant à affecter une ressource de l'Etat à un cadre comptable particulier innommé, baptisé « fonds », doit donc se voir opposer le même reproche d'affectation que si elle attribuait ladite ressource à un budget annexe ou à un compte spécial du Trésor.
Article 72
Cet article tend à valider les protocoles d'accord et les conventions signés par l'Etablissement public pour l'aménagement de la défense (EPAD) avec la société SNC Coeur Défense, d'une part, et la société Centre des nouvelles industries et technologies (CNIT), d'autre part, ainsi que les versements correspondants effectués au profit de l'EPAD.
Cette validation méconnaît les deux exigences constitutionnelles que doivent respecter les validations législatives, posées par la décision no 80-119 DC du 29 juillet 1980. D'une part, en validant les versements effectués par la SNC Coeur Défense à l'EPAD, le premier alinéa de cet article fait obstacle aux effets directs du jugement du tribunal administratif de Paris du 6 mars 1997 et de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 5 mai 1998. Il contrevient ainsi au principe de la séparation des pouvoirs. D'autre part, cet article n'est justifié que par un intérêt financier et non par l'intérêt général. Car, à supposer que les sommes en cause puissent mettre en péril l'existence de l'EPAD, la continuité du service public serait néanmoins assurée. L'EPAD bénéficie de la garantie de l'Etat en tant qu'établissement public, l'Etat pouvant en outre décider d'assurer lui-même les missions imparties audit établissement public.
Article 92
Cet article tend à revenir sur l'assujettissement aux cotisations sociales des gains réalisés sur options de souscription ou d'achat d'actions pour les options attribuées avant le 1er janvier 1997, dans le cadre de plans, par les sociétés immatriculées au registre du commerce et des sociétés depuis moins de quinze ans à la date d'attribution.
La restriction de ce dispositif aux sociétés de moins de quinze ans est contraire à la Constitution.
Elle provoque une rupture de l'égalité devant les charges publiques, tant entre les sociétés attribuant les options qu'entre les salariés attributaires. Cette rupture ne peut être justifiée par un motif d'intérêt général. Ce dispositif a en effet pour but de modifier le régime d'options déjà attribuées et se trouve dépourvu d'effet incitatif.
Le critère des quinze années retenu par l'Assemblée nationale n'est de surcroît manifestement pas en rapport avec le but qu'elle s'assigne. En effet, les députés ont entenu « encourager la création d'entreprises et d'emplois dans le secteur des nouvelles technologies » et « éviter que des grands groupes n'utilisent ce mécanisme ». Le Gouvernement a fait écho en déclarant que la mesure était animée par « l'esprit d'encourager la création d'entreprises et de soutenir les entreprises en plein essor ». Le critère de quinze années ne correspond toutefois ni au secteur visé (nouvelles technologies), ni à la taille (il existe des très grands groupes de moins de quinze ans d'âge, qu'ils aient atteint cette taille par croissance interne, par fusion ou par scission, comme il existe des PME de plus de quinze ans d'ancienneté), ni au concept d'entreprise en création ou de « jeune entreprise ». Sur ce dernier point, dans la loi de finances pour 1998 (art. 78), le Gouvernement a entendu favoriser les jeunes entreprises en créant un système de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, assez largement analogue aux stock options de l'article 92, réservé aux entreprises immatriculées au registre du commerce et des sociétés depuis moins de sept ans.
De surcroît, plusieurs dispositions fiscales importantes visant à favoriser la création d'entreprises considèrent comme « nouvelles » des entreprises de moins de cinq ans d'âge. Pour l'ensemble de ces raisons, la durée de quinze ans est manifestement sans rapport avec l'objectif de l'article .
Article 114
Cet article tend à valider les taux de redevance aéroportuaire et les titres de perception émis au titre de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne.
Le 1o de cet article est contraire à la Constitution pour les mêmes motifs que ceux qui avaient conduit le Conseil constitutionnel à annuler l'article 98 de la loi de finances pour 1996 dans sa décision no 95-369 DC du 28 décembre 1995. Il s'agit de valider a priori des redevances ou titres de perception exigés des usagers des aéroports susceptibles d'être annulés par le juge administratif au motif que leurs tarifs seraient déterminés en prenant en compte des charges afférentes à l'exercice de missions d'intérêt général. Cette validation n'est pas motivée par la considération de l'intérêt général, mais par la recherche d'un intérêt purement financier. Le montant modéré des sommes en cause et les responsabilités de l'Etat en la matière écartent tout risque de rupture de la continuité du service public de la sécurité des aéroports.
Le 2o de cet article tend à valider a priori des redevances établies par les gestionnaires d'aéroports pour financer des mesures de sûreté, alors que ces missions doivent, en raison de leur nature de mission d'intérêt général, être financées d'une autre manière. On rappelle que les redevances sont la contrepartie de prestations rendues à des catégories particulières d'usagers. Ainsi, la validation attaquée a pour effet implicite d'instaurer une taxe dont le législateur n'aura été appelé à définir ni l'assiette ni le taux, en contravention avec l'article 34 de la Constitution.
Enfin, le 3o de cet article tend à contourner l'interdiction posée par le Conseil constitutionnel de valider une décision administrative déjà annulée par une décision de justice passée en force de chose jugée. Il méconnaît ainsi le principe de séparation des pouvoirs.
(Liste des signataires : voir décision no 98-402 DC.)